Intelligence artificielle et propriété intellectuelle : vers un nouveau cadre Européen de transparence
L’essor de l’intelligence artificielle (IA), et en particulier des modèles génératifs, a bouleversé le paysage numérique et culturel. Cependant, l’utilisation massive de contenus protégés pour entraîner ces modèles soulève des enjeux cruciaux pour les titulaires de droits. Le Règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA), adopté en juin 2024, introduit un cadre normatif inédit visant à équilibrer innovation et respect des droits fondamentaux.
L’obligation de transparence : un pilier du RIA
L’article 53 du RIA impose aux fournisseurs de modèles d’IA des obligations majeures, visant à garantir une transparence accrue notamment la mise en place d’une politique de conformité (article 53, 1, c) : les fournisseurs doivent démontrer que leur collecte et leur utilisation des données respectent le droit d’auteur et les droits voisins.
On retrouve aussi un résumé détaillé des données utilisées (article 53, 1, d) : ce document, accessible au public, doit permettre aux titulaires de droits de vérifier si leurs œuvres ont été utilisées pour l’entraînement des modèles.
Ces dispositions ont pour ambition de créer un cadre favorable à l’innovation tout en assurant la protection des valeurs de l’Union européenne, notamment la rémunération équitable des ayants droit.
Les enjeux pour les titulaires de droits
L’obligation de transparence introduit des changements profonds pour les acteurs de la création et les fournisseurs d’IA.
Ces derniers devront alors procéder à l’ identification des contenus protégés : le résumé détaillé exigé par le RIA inclut des informations essentielles telles que les noms de domaine et les URLs datés des contenus utilisés. Cette transparence permettra aux titulaires de droits d’exercer leurs prérogatives et de demander une rémunération ou d’exclure leurs œuvres de l’entraînement des modèles.
Il faudra aussi prendre en compte les limites imposées par le secret des affaires
Le résumé ne doit pas révéler les techniques spécifiques d’entraînement (tokenisation, filtrage, etc.) afin de préserver le secret industriel. Il s’agit donc de fournir une liste des « ingrédients » sans divulguer la « recette ».
Il s’impose également, un certain nombre de défis liés aux clauses d’opt-out
Les titulaires de droits disposent d’outils techniques pour indiquer leur opposition à l’utilisation de leurs contenus (robots.txt, ai.txt, etc.). Cependant, l’absence de standardisation limite l’efficacité de ces dispositifs. Le RIA pourrait inciter à la création d’un registre centralisé pour faciliter la gestion des droits.
L’émergence d’un marché éthique et compétitif
Le RIA ouvre la voie à un marché des licences dédié à l’entraînement des modèles d’IA. Cette évolution est essentielle pour établir une chaîne de valeur respectueuse des droits d’auteur. Les pratiques actuelles, souvent opaques, ont conduit à une multiplication des litiges à l’international, notamment aux États-Unis et en Allemagne, où des ayants droit contestent l’utilisation non autorisée de leurs œuvres.
L’Union européenne, en imposant des standards élevés de transparence, pourrait se positionner comme un leader mondial d’une IA « de confiance », respectueuse des droits fondamentaux.
Les implications pour le droit français
En France, ce règlement s’articule avec le RGPD et la directive 2019/790 sur le droit d’auteur. La mission flash, menée sous l’égide du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), a proposé des orientations pour préciser les dispositions de l’article 53 du RIA. Ces travaux visent à défendre une approche équilibrée entre innovation et protection des créateurs.
Les questions liées à la diversité des données, aux biais algorithmiques et à la protection des données personnelles doivent également être prises en compte. En effet, l’utilisation d’œuvres, d’images ou de voix d’artistes dans l’entraînement des modèles concentre des atteintes multiples (droit d’auteur, droit des données personnelles, droits de la personnalité).
Conclusion : Vers un cadre harmonisé et durable
Le RIA marque une avancée majeure dans la régulation de l’intelligence artificielle. En favorisant la transparence, il pose les bases d’un marché éthique et compétitif qui respecte les ayants droit tout en soutenant l’innovation. La France, en contribuant activement à la mise en œuvre de ces dispositions, peut jouer un rôle clé dans la construction d’un modèle européen exemplaire.
La régulation de l’IA ne doit pas être perçue comme un frein, mais comme une condition indispensable pour garantir que l’innovation soit synonyme de progrès. La transparence imposée par le RIA constitue ainsi un levier pour bâtir un écosystème numérique respectueux des droits et des valeurs européennes.