Le droit d’auteur français repose sur un principe fondamental : toute œuvre originale bénéficie automatiquement de la protection du droit d’auteur, même si celle-ci a été réalisée dans des circonstances illicites.
Ainsi, selon la jurisprudence, la question de l’illicéité des conditions de création n’empêche pas la reconnaissance des droits d’auteur. Ce principe met en lumière une distinction essentielle entre la légalité des moyens employés pour créer une œuvre et la protection juridique de l’œuvre elle-même en vertu de son originalité.
Dans une décision rendue le 6 septembre 2024 (n° 22/00505), le Tribunal judiciaire de Lille a statué sur une affaire de contrefaçon concernant l’œuvre d’art intitulée « Réfléchir », créée par un artiste plasticien en 2014. Cette œuvre, constituée de miroirs recouvrant un blockhaus historique situé sur une plage du débarquement, a fait l’objet d’une exploitation non autorisée par plusieurs collectivités et organismes locaux.
Contexte de l’affaire
L’artiste à l’origine de l’œuvre reprochait à une communauté urbaine, une commune, un office de tourisme et une agence de développement économique d’avoir reproduit et diffusé des images de son œuvre sans son autorisation entre 2015 et 2020. Ces reproductions ont été utilisées notamment dans des campagnes de promotion touristique. Après une mise en demeure non suivie d’effet, l’artiste a saisi la justice, réclamant une indemnité pour contrefaçon de droit d’auteur.
Décision du Tribunal
La reconnaissance de l’originalité de l’œuvre : le tribunal a confirmé que l’œuvre « Réfléchir » remplissait les critères d’originalité nécessaires pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, en raison de son caractère unique et de l’empreinte de la personnalité de son créateur. En ce sens, elle relève de la protection prévue à l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Le tribunal rejette donc les exceptions invoquées par les défendeurs. En effet, Les collectivités se sont appuyées sur deux exceptions pour justifier l’absence d’autorisation préalable de l’artiste :
– l’exception pour information immédiate (article L.122-5 CPI), qui permet l’utilisation d’une œuvre dans un but d’information, à condition de mentionner le nom de l’auteur. Le tribunal a rejeté cet argument, considérant que les reproductions litigieuses servaient des objectifs promotionnels, et non informatifs.
– l’exception d’accessoire : Selon cette jurisprudence, une œuvre peut être utilisée si elle n’est qu’un élément accessoire à un sujet principal. Or, dans ce cas, le tribunal a estimé que l’œuvre était au cœur de la communication, et non un élément secondaire.
Condamnation pour contrefaçon
Le Tribunal a ainsi condamné les défendeurs à verser des dommages-intérêts allant de 3 000 à 10 000 euros chacun, en se fondant sur les critères de l’article L.331-3 du CPI : le préjudice moral et économique subi par l’artiste et les profits réalisés par les collectivités à travers cette exploitation illicite.
Conclusion
Cette décision souligne que la présence d’une œuvre sur le domaine public ne confère pas aux collectivités locales le droit de l’exploiter sans autorisation. Toute reproduction ou utilisation commerciale d’une œuvre protégée doit impérativement faire l’objet d’une autorisation préalable de l’auteur ou de ses ayants droit, sous peine de sanctions pour contrefaçon.
Cette jurisprudence est un rappel crucial pour les institutions publiques quant au respect des droits des créateurs, même lorsqu’il s’agit d’œuvres intégrées à des sites historiques ou touristiques.