Brevets standards essentiels : tension économique entre opérateurs télécoms et industries utilisatrices

Partager cet article :

Le projet de réforme des brevets standards essentiels, actuellement en discussion au sein de l’Union européenne, provoque des tensions entre les opérateurs télécoms, tels que Nokia, Ericsson, Orange, et les industries utilisatrices de ces technologies, telles que les constructeurs automobiles ou encore le géant Apple.

Les Brevets Essentiels Standards (ou « Standard Essential Patents », ci-après SEP) sont des droits de propriété intellectuelle qui protègent une technologie considérée comme indispensable pour fabriquer un produit ou établir et respecter une norme.

Selon les lignes directrices relatives aux accords de transfert de technologie (2014/C 89/03), le caractère essentiel d’une technologie est avéré lorsqu’il n’existe aucune autre solution viable pour la fabrication du produit. Une technologie essentielle constitue donc une composante nécessaire des différentes technologies utilisées pour fabriquer un produit et, sans celle-ci, le produit ne pourrait être fabriqué, ni une norme établie.

Bien qu’ils ne représentent que 2 % de la population totale des brevets actuellement en vigueur, les SEP sont essentiels au développement de normes internationales liées à des technologies telles que la 4G, la 5G, le Wi-Fi, l’informatique ou encore l’audiovisuel.

Pourtant, les licences SEP sont archaïques, nécessitant souvent de longs et épuisants litiges judiciaires pour convenir des conditions d’utilisation Équitables, Raisonnables et Non Discriminatoires (FRAND) entre les détenteurs de ces SEP et les exécutants de SEP. De plus, les petites et moyennes entreprises (PME), qui mettent de plus en plus en œuvre des normes basées sur les SEP dans l’écosystème numérique, sont dépassées par les coûts et ne peuvent pas négocier les conditions FRAND avec les détenteurs de SEP, souvent riches en liquidités. Les nombreuses redevances liées à l’exploitation des SEP sont presque impossibles à suivre pour les PME, entraînant un déséquilibre de la concurrence équitable et violant de nombreuses réglementations antitrust destinées à lutter contre l’abus de position dominante des géants économiques.

La Commission européenne a donc pris l’affaire en main et adopté sa proposition sur les Brevets Essentiels Standards en avril 2023, proposition qui a ensuite été approuvée par le Parlement européen en février 2024. Elle propose des réformes radicales mais contrôlées par l’État, telles que la création d’un centre de compétence au sein de l’EUIPO, chargé d’administrer un registre et une base de données des SEP. Elle impose aussi aux titulaires de SEP d’enregistrer leurs brevets dans ce centre de compétence, et confère à l’EUIPO le mandat d’effectuer des contrôles d’essentialité et de fixer des critères FRAND. Cette proposition de règlement est audacieuse.

 

En matière de régulation économique, la même question demeure : jusqu’à quel point les parties prenantes des SEP sont-elles prêtes à sacrifier collectivement leur liberté contractuelle pour accroître la transparence ainsi que leur capacité à négocier des licences SEP aux conditions FRAND.

Actuellement, les détenteurs de brevets tirent d’importants revenus de l’exploitation des technologies 4G/5G, protégées par les SEP. Cependant, la proposition de la Commission européenne suggère un changement de procédure pour régler les litiges relatifs à ces brevets.

Plutôt que de recourir à l’Unified Patent Court (UPC), qui permet une résolution rapide des litiges par des juges spécialisés, le projet de réforme propose une nouvelle procédure passant par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Ce dernier rendrait d’abord un avis non contraignant, nécessitant ensuite la saisine d’un tribunal, ce qui allongerait considérablement les délais de règlement. Les entreprises télécoms s’opposent à cette réforme, craignant une perte de revenus et un désavantage concurrentiel pour les détenteurs de brevets européens.

Les entreprises favorables à la réforme, notamment les constructeurs automobiles, estiment, quant à elles, que cette nouvelle réglementation garantirait un accès équitable aux technologies sans fil et permettrait aux PME de mieux innover dans des secteurs comme l’Internet des objets et l’intelligence artificielle.

Nos dernières publications

Vous avez besoin d'aide ?

Contactez-nous pour recevoir l’assistance d’un avocat spécialisé :

Le cabinet ACBM vous accueille du lundi au vendredi de 10h à 19h sur place ou par téléphone. Nous vous répondrons  sous 24h, sans engagement !

Call Now Button